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mais l'eau dit:*
27 mai 2008

Je me suis noyée, bien des fois.

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    Tu es seule désormais. Tu l’as laissé partir sans prononcer un mot. Tu aurais pu lui dire "reste" mais au lieu de ça tu as préféré le silence. Maintenant, les larmes ont pris la place du silence. Il est sept heures lorsque le réveil sonne, tu sors un bras de la couverture pour faire taire cette horrible alarme. Par un geste maladroit, le réveil voltige et finit sa chute par terre. Aujourd’hui, tu ne travailles pas ; pourtant, hier en te couchant, tu as oublié d’éteindre l’alarme du réveil. Il faut dire que tu avais la tête ailleurs. Tu avais bu, un peu trop. Tu pensais que ça t’aiderait à oublier. Tu te frottes les yeux avant d’ouvrir le tiroir de la table de chevet et tu en sors une boîte de cachets effervescents ; tu en verses deux dans un verre d’eau. L’écho des bulles qui s’échappent du cachet  résonne dans ta tête. Tu regardes une tache sur le mur, l’humidité décolle le papier peint. Le plafond fuit, une flaque s’est formée, au fur et à mesure que les gouttes d’eau tombent. Tu devrais appeler ton propriétaire mais depuis qu’il est parti, tu négliges tout ; ta vie tourne au ralenti. La douleur te rappelle à quel point tu es vivante et seule. Tu vas prendre l’air, tu en as besoin.
    Assise au bord de la mer, tu laisses le bruit des vagues t’enivrer ; une légère brise s’emmêle dans tes cheveux. La plage est déserte ; au loin, une petite fille s’approche de toi. Elle te regarde ; ne parle pas ; alors tu la prends dans tes bras. Tu l’emmènes au commissariat. Tu attends longtemps, la petite fille déchire un journal, en fait un bateau en papier, puis souffle dessus. L’officier te dit que la veille des fêtes, il est dans l’impossibilité de trouver un foyer. Tu es embarrassée et tu lui rétorques que non, tu ne peux pas la garder car tu travailles. Le téléphone sonne l’homme décroche, tu ne veux pas le déranger ; alors tu t’en vas seule mais la petite fille te suit alors tu te résignes ; tu l’emmènes chez toi. Tu sors un vieux carton poussiéreux ; tu en retires une robe, une de celles que tu mettais petite. Elle est en satin blanc, la petite fille l’enfile. Elle te ressemble, ses cheveux blonds mêlés et ses grands yeux bleus mystérieux te rappellent ton enfance. Tu ouvres un livre de cuisine, déposes un gratin de pâtes au gruyère dans le four, verses des framboises sur une pâte brisée et mets la table. Depuis qu’il est parti, tu n’as pas mangé un repas convenable, tu te perds dans tes pensées. Le gratin brûle ; tans pis, il reste la tarte aux framboises. La petite fille semble heureuse, elle te regarde avec ses grands yeux azur sans prononcer un mot. Vous allez vous coucher ; demain, tu travailles ; tu n’auras pas d’autre choix que de l’emmener avec toi. Tu es employée dans une galerie d’art contemporain tout près de chez toi.
    Le matin, tu te lèves sans faire de bruit, puis ouvres les volets ; quelques rayons de soleil passent à travers le rideau. La petite fille dors encore ; tu sors doucement de la pièce pour la laisser rêver. Tu prépares du café dans une vieille cafetière italienne chromée tout en écoutant le tic-tac de la pendule ; tu t’habilles pour descendre acheter du pain, mais dans la boulangerie tu optes pour deux croissants. Quand tu reviens à l’appartement, la petite fille s’est levée, elle a remis la robe blanche que tu lui avais mise hier. Elle est assise sur une des chaises de la cuisine sans bouger alors tu poses le sac de croissants sur la table et tu lui en proposes un. Elle te sourit, tout en mangeant son croissant. Quand elle a fini, elle se lève, ouvre le frigo pour en sortir une bouteille de jus d’orange ; tu saisis un verre et le lui donnes. Tu regardes ta montre, tu es en retard. Tu te presses pour arriver à l’heure mais c’est peine perdue. Cela fait déjà plus d’une demi heure que tu devrais être arrivée.   Ton chef te réprimande ; il n’apprécie guère que tu aies emmené la petite fille avec toi. Elle ne tient pas en place, elle met ses mains dans un pot de peinture ; tu la disputes. Tu dois t’occuper d’un client, tu lu dis de rester tranquille. Elle disparaît ; tu as beau la chercher, tu ne la trouves pas. Tu sors troublée de la galerie, cours, traverses la rue sans regarder.
    Tu te réveilles, tu vois flou ; le plafond ne fuit pas. Tu entends une femme parler à un homme en blouse blanche ; il parle de toi : «  Une voiture l’a heurtée quand elle traversait la route, aucune fracture, quelques ecchymoses. » Tu le sais, c’est à l’intérieur que ça fait mal, c’est ton cœur qui est blessé. Ils partent, tu n’es pas seule dans la chambre ; une vielle dame dort à l’autre bout de la pièce. Tu te lèves, sors de la chambre, longes un long couloir, ta tête tourne, tu tombes. Une dame t’aide à te relever, tu voudrais lui dire merci mais tu ne peux pas, les mots ne sortent pas. L’hôpital est en front de mer, le bruit des sirènes des ambulances raisonne dans ta tête ; tu as mal. 
    Tu marches sur la digue, tu regardes les nuages, l’un d’eux ressemble à un lapin. Tu la vois, la petite fille, elle court, tu la suis. Elle porte toujours la robe en satin blanc. Elle descend sur la plage en direction de la mer, tu la poursuis toujours. Elle rentre dans l’eau, toi aussi. Tu la regardes, elle te sourit ; ses grands yeux bleus brillent. Doucement, tu t’évanouis, l’eau remplit tes poumons. Elle souffle dans l’eau, des milliers de petites bulles remontent à la surface. Ton appartement est inondé. Ta vie a pris l’eau.

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